Le licenciement du salarié non vacciné : suite et fin (?)
Le projet de loi “rétablissant et complétant l’état d’urgence sanitaire” (dont nous avions proposé un premier commentaire au stade de l’avant-projet) a finalement été approuvé le 25 juillet 2021. Il modifie sensiblement l’avant-projet, notamment sur la question, qui faisait l’objet principal de notre analyse précédente, du licenciement du salarié (ou de l’agent public) dans l’hypothèse où celui-ci ne se conformait pas à son obligation, selon les cas :
de présenter un passe sanitaire pour les salariés travaillant au sein des “lieux, établissements, services ou événements” pour lesquels le passe sanitaire sera rendu exigible par décret, “lorsque la gravité des risques de contamination en lien avec l'exercice des activités qui y sont pratiquées le justifie, au regard notamment de la densité de population observée ou prévue” (article 1er de la Loi, modifiant l’article 1er de la Loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 “relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire” [sic] ).
Cette obligation sera applicable seulement à compter du 30 août 2021 (article 1er, point 14).
(Actualisation : le Décret d’application n° 2021-1058 du 7 août 2021 modifiant l’article 47-1.IV du Décret n° 2021-699 du 1er juin 2021 précise que le passe sanitaire est applicable “à compter du 30 août 2021, aux salariés, agents publics, bénévoles et aux autres personnes qui interviennent dans les lieux, établissements, services ou évènements concernés, lorsque leur activité se déroule dans les espaces et aux heures où ils sont accessibles au public, à l'exception des activités de livraison et sauf intervention d'urgence”)de satisfaire à leur obligation vaccinale, pour les personnes concernées par ladite obligation (c’est-à-dire en synthèse les personnels de santé, au sens très large puisque cette catégorie inclut toutes les personnes, quelles que soient leurs fonctions, qui travaillent dans un établissement de santé [entendu, là aussi, largement] : voir l’article 12 de la loi).
Il est précisé qu’un dépistage virologique négatif est à titre dérogatoire admis jusqu’au 14 septembre 2021 inclus (article 14.I.A) ; le passe sanitaire, en somme, pourra suffire jusqu’à cette date.
Conformément aux suggestions du Conseil d’État il a par ailleurs été ajouté par rapport à l’avant-projet une possibilité de dérogation pour les salariés et agents publics justifiant d’une contre-indication médicale à la vaccination, tant pour ceux relevant du passe sanitaire (article 1er, point 43 de la Loi [nouvel article 1.II.J, alinéa 1er de la Loi du 31 mai 2021] ) que pour ceux soumis à une obligation vaccinale (article 12.I de la Loi), ce qui est bienvenu. Du reste, à défaut la loi n’aurait sans doute pas franchi le contrôle de constitutionnalité.
Hormis ces deux catégories, l’employeur ne dispose pas de la possibilité d’exiger de ses salariés qu’ils soient en possession du passe sanitaire.
Sous réserve de ces observations préalables, les points essentiels en ce qui concerne la situation des salariés sont à notre sens les suivants :
Disparition du motif de licenciement de plein droit
Le principe demeure que le contrat est suspendu, sans rémunération, lorsque le salarié ou l’agent public concerné ne satisfait pas aux exigences du texte.
En revanche les dispositions qui dans l’avant-projet ouvraient, si la suspension durait deux mois au moins, la (simple) faculté pour l’employeur de prononcer un licenciement que la loi déclarait justifié de plein droit, ont disparu.
Faut-il pour autant en déduire que la question est close, et que le licenciement du salarié concerné est par principe exclu ?
La difficulté est que la loi est désormais silencieuse sur la question : il n’est pas précisé expressément que le licenciement est impossible. Or il est loin d’être évident que ce silence doive s’interpréter comme une interdiction du licenciement fondé sur l’absence, selon les cas, de passe sanitaire ou de vaccination.
1°/ S’agissant des salariés simplement soumis au passe sanitaire, l’absence de présentation du passe ne peut probablement pas être considérée comme une faute justifiant en soi le licenciement (ni à plus forte raison comme une faute grave).
En revanche, en l’absence de toute disposition spécifique il est envisageable d’appliquer les solutions dégagées par la jurisprudence dans l’hypothèse, assez comparable, d’absences prolongées ou répétées du salarié pour motif médical : le licenciement ne peut en principe être justifié par de telles absences que si :
il en résulte une perturbation du fonctionnement de l’entreprise en son ensemble ;
l’employeur est contraint de procéder au remplacement définitif du salarié, ce qui implique qu’il soit impossible de remplacer efficacement le salarié par le recours à l’intérim ou à des contrats à durée déterminée de remplacement.
(jurisprudence constante ; pour un exemple récent, v. Cass. Soc., 24 mars 2021, pourvoi n° 19-13.188, publié au Bull.)
Les conditions de fond au licenciement des salariés concernés seraient donc, même en admettant la transposition de cette jurisprudence au cas qui nous intéresse ici, plus restrictives par rapport à l’avant-projet qui prévoyait quant à lui un licenciement automatiquement justifié.
En revanche, le délai minimal de deux mois avant le licenciement disparaît ; mais en pratique l’employeur ne pourrait sauf cas très particulier établir que les conditions précitées au licenciement sont réunies, que si l’absence se prolonge ou se répète sur une période assez longue.
De façon assez étrange, la loi prévoit en revanche dans cette même situation. la rupture anticipée des contrats des salariés en CDD et en contrat d’intérim (article I, point 22). En général, la rupture anticipée de cette catégorie de contrats est pourtant soumise à des conditions plus restrictives que la rupture d’un contrat à durée indéterminée. Les salariés concernés percevront l’indemnité de précarité mais n’auront pas droit à des dommages et intérêts pour rupture anticipée abusive. On s’explique assez mal, à première vue cette différence de traitement.
2°/ S’agissant des salariés soumis à une obligation vaccinale à proprement parler, nous avions rappelé dans notre billet précédent que la Cour de cassation avait admis que la méconnaissance d’une telle obligation constituait au moins une cause réelle et sérieuse de licenciement (Cass. Soc., 11 juillet 2012, pourvoi n° 10-27.888, Bull. V n° 221), la question de la qualification éventuelle de faute grave restant ouverte. Rappelons à cet égard que la faute grave est privative des indemnités de préavis et de licenciement (seule l’indemnité de licenciement étant concrètement en cause ici puisque l’exécution du préavis étant impossible du fait du salarié, l’indemnité de préavis ne serait de toute façon pas due).
Un argument en faveur de la qualification de faute est que plusieurs obligations vaccinales applicables aux soignants (articles L. 3111-4 du Code de la santé publique) sont déjà sanctionnées pénalement par une contravention de cinquième classe (articles R. 3116-1 et R. 3116-2 du Code de la santé publique), punie d’une amende de 1.500 € au maximum. Se soustraire à une obligation vaccinale constitue donc au moins dans certains cas une faute pénale, et peut dès lors possiblement être envisagé comme une faute au sens civil. Or cette faute, par définition, fait obstacle à la poursuite du contrat de travail ce qui constitue la définition même de la faute grave.
Un autre argument en faveur du caractère fautif du refus s’agissant des salariés soumis à l’obligation vaccinale, est que l’obligation qui pèse sur l’employeur, de chercher à réaffecter le salarié n’est prévue que pour les salariés relevant seulement du passe sanitaire (voir plus bas). On peut y voir une considération sous-jacente selon laquelle l’absence de passe sanitaire n’est pas fautive, contrairement au refus de se soumettre à l’obligation vaccinale lorsqu’elle existe.
Il est également prévu, pour les personnels de santé au sens strict (donc une partie seulement des salariés relevant de l’obligation vaccinale), d’informer le conseil de l’Ordre dont le salarié relève après une suspension de 30 jours (article 14, point 13 de la Loi). C’est l’ombre d’une sanction disciplinaire ordinale qui plane sur le salarié, ce qui va encore dans le sens d’un comportement potentiellement fautif du point de vue de l’employeur.
En sens inverse on peut opposer que la loi prévoyant une suspension du contrat, elle exclurait par là même la notion de manquement disciplinaire. Mais il ne nous paraît pas impossible de considérer que la cause de cette suspension tient à un comportement que l’employeur peut être fondé à considérer comme fautif.
La question pourrait même être appréciée au cas par cas et, par exemple, la réticence vaccinale pourrait être appréciée différemment pour un salarié nécessairement très informé sur le plan médical (typiquement un médecin) et pour un salarié qui, bien que dans le champ de l’obligation vaccinale, n’aurait a priori aucune formation particulière en ce domaine.
Quoi qu’il en soit, la loi définitivement votée étant désormais silencieuse, la jurisprudence précitée selon laquelle le défaut de vaccination obligatoire constitue à tout le moins une cause réelle et sérieuse de licenciement semble pouvoir être appliquée au cas particulier de l’obligation vaccinale contre la covid-19.
La suppression des dispositions autorisant le licenciement serait alors une modification faussement protectrice des salariés concernés, puisque :
la question de la faute grave, que l’on pouvait considérer comme implicitement exclue par l’avant-projet, se poserait de nouveau ;
le délai minimal de deux mois de suspension avant que le licenciement puisse être prononcé a disparu, alors même que (contrairement à la catégorie des salariés simplement soumis au passe sanitaire) les conditions de fond au licenciement n’imposent pas, ici, à l’employeur de justifier d’absences d’une certaine durée.
Il est vrai que sur ce dernier point, on peut aussi considérer qu’il est à tout prendre préférable pour le salarié d’être licencié immédiatement, pour pouvoir faire valoir ses droits au chômage, que de demeurer deux mois au moins en situation de suspension non rémunérée.
Reste le problème des salariés en CDD ou en intérim, car pour les salariés soumis à une obligation vaccinale la loi est silencieuse sur la possibilité ou non de rompre leur contrat de façon anticipée, et il est difficile au point de vue de la logique formelle de considérer que l’article 1er point 22 de la loi, qui concerne les salariés relevant du passe sanitaire, leur est implicitement applicable.
Il faudrait alors en déduire que, contrairement aux salariés relevant du passe sanitaire la rupture anticipée est impossible pour les salariés soumis à obligation vaccinale - ce qui serait paradoxal dès lors que l’obligation qui pèse sur ces derniers est plus lourde.
Peut-on considérer que le fait de ne pas se soumettre à l’obligation vaccinale constitue une faute grave, justifiant la rupture anticipée sur le fondement des articles L. 1243-1 (CDD) et L. 1251-26 (intérim) du Code du travail ? On a vu plus haut que cette opinion est défendable au point de vue des principes, puisque le fait de ne pas respecter une obligation vaccinale peut être considéré comme une faute et que celle-ci rend impossible la poursuite du contrat de travail. La question reste cependant incertaine.
Une obligation de “réaffectation” pour certains salariés
La loi ajoute, par rapport à l’avant-projet, une obligation pour l’employeur, dans le cas des salariés soumis seulement à l’exigence du passe sanitaire, de les recevoir en entretien après trois jours de suspension et de chercher à les réaffecter temporairement (article 1er, point 21) sur un poste où cette exigence ne s’applique pas.
Il s’agira bien évidemment d’une obligation de moyens et non de résultat, ce qui signifie que cette réaffectation ne s’imposera à l’employeur que pour autant qu’elle soit possible. L’employeur devra cependant prendre garde au fait que, selon nous, cette obligation peut aller jusqu’à imposer une interversion de poste à d’autres salariés, s’il en résulte pour ces derniers un simple changement des conditions de travail - c’est-à-dire en synthèse, si aucun élément essentiel (tel que la nature et le niveau de responsabilité des fonctions, la rémunération, le secteur géographique du lieu de travail [sauf le jeu d’une clause de mobilité], le travail de jour ou de nuit…) n’est modifié.
Aucune obligation de cette nature n’est prévue dans l’hypothèse des salariés soumis à une obligation vaccinale à proprement parler. Il est alors possible de considérer :
soit qu’une obligation analogue pèse sur l’employeur, dans ce cas également, au titre de son obligation générale de bonne foi ;
soit au contraire, que le salarié qui méconnait son obligation vaccinale est considéré par là même comme en faute, de sorte qu’il n’incombe pas à l’employeur de minimiser dans l’intérêt du salarié les conséquences de cette faute. C’est cette dernière lecture qui, pensons-nous, doit être privilégiée.
La situation du salarié pendant la suspension
La situation du salarié pendant la suspension sera extrêmement précaire puisqu’il ne percevra aucune rémunération et ne pourra prétendre aux indemnités de chômage, faute de rupture. La disparition du motif de licenciement de plein droit initialement prévu, outre qu’elle ne protège probablement que partiellement contre le licenciement, est peut-être un “cadeau empoisonné” dans la mesure où certains salariés auraient sans doute intérêt à pouvoir s’inscrire auprès du Pôle Emploi plutôt que de demeurer en situation de suspension non rémunérée, ou de démissionner (ce qui les priverait de toute allocation chômage pendant au moins quatre mois).
Du point de vue des employeurs, même si la voie du licenciement n’est probablement - ainsi qu’on vient de le montrer - pas fermée, les incertitudes persistantes pourront être dissuasives (puisqu’un licenciement jugé mal fondé conduirait à des condamnations prud’homales potentiellement lourdes). De plus, certains employeurs préfèreront tout simplement laisser le salarié démissionner plutôt que de prononcer un licenciement en payant, si la faute grave n’est pas retenue, l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement.
Pour finir, le Conseil constitutionnel a été - comme il fallait s’y attendre - saisi. Il est donc encore possible que des dispositions soient jugées inconstitutionnelles, ou ne soient considérées comme valides que sous réserve d’être interprétées de telle ou telle manière.
Il n’est pas certain, par exemple, que le Conseil constitutionnel admettra la différence de traitement vue plus haut entre les salariés relevant du passe sanitaire en CDI d’une part, en CDD ou en intérim d’autre part (pour lesquels la rupture anticipée du contrat, automatiquement justifiée, est prévue par le texte alors que le licenciement justifié de plein droit a disparu pour les salariés en CDI).
Sources :
Projet de loi adopté par le Parlement après commissions mixte paritaire
Loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 “relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire”, version consolidée
Cass. Soc., 11 juillet 2012, pourvoi n° 10-27.888, Bull. V n° 221
Cass. Soc., 24 mars 2021, pourvoi n° 19-13.188, publié au Bull.