Le licenciement du salarié non vacciné
Le Conseil d’Etat a rendu ce lundi 19 juillet 2021 son avis sur l’avant-projet de loi “relatif à l’adaptation de nos outils de gestion de la crise sanitaire”. Rappelons qu’il s’agit d’un avis simple, qui ne s’impose ni au gouvernement ni, à plus forte raison, aux parlementaires qui auront à débattre du projet. L’avant-projet peut encore être, et sera sans doute, modifié avant d’être présenté au Parlement, puis par le Parlement lui-même avant d’être soumis, très probablement, au Conseil constitutionnel. Il s’agit donc d’un texte en cours de finalisation.
L’avant-projet lui-même est de lecture ardue, comme toujours s’agissant de textes “non consolidés” qui mentionnent seulement les modifications des textes préexistants (en l’occurrence la Loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 “relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire” - intitulé peut-être exagérément optimiste). L’avis contient une analyse d’ensemble plus éclairante du contenu des nouvelles dispositions envisagées, de leurs justifications et des difficultés de fait et de droit qu’elles soulèvent.
Il ne s’agit pas ici de débattre de la justification des mesures envisagées en leur ensemble, encore moins de la pertinence de la politique de vaccination généralisée. Le présent billet s’intéresse plus spécifiquement à l’obligation faite à certains professionnels de justifier de leur immunisation à la covid-19, ou à tout le moins d’un dépistage négatif, ainsi qu’au licenciement venant la sanctionner.
Il existe deux cas de figure distincts :
d’une part, les personnes travaillant dans les services de transports, lieux, établissements et événements dont l’accès sera subordonné, pour les usagers, au “passe sanitaire” (article 1er de l’avant-projet) : il est prévu la possibilité d’exiger également, par décret, le passe pour les personnes qui y travaillent (il serait mal compris par le public que ces deux obligations ne soient pas liées).
Comme pour les usagers il ne s’agit pas ici d’une obligation vaccinale à proprement parler, puisque le passe sanitaire admet l’alternative d’un test virologique négatif. Mais s’agissant d’une activité professionnelle quotidienne, la contrainte du test virologique est plus importante puisqu’il devrait être effectué de façon très régulière.d’autre part, selon l’article 5 de l’avant-projet, certaines catégories de personnes exerçant leur activité professionnelle auprès de personnes vulnérables doivent justifier de leur immunisation à la covid-19 ou à tout le moins d’un dépistage négatif , sous peine de ne plus pouvoir exercer leur activité professionnelle.
L’alternatif du dépistage n’étant admise que jusqu’au 15 septembre 2021 il y a là, à terme, une véritable obligation vaccinale à proprement parler.
Dans les deux cas, il est prévu que le fait de ne pas pouvoir exercer pendant plus de deux mois son activité, en application de l’une ou l’autre de ces dispositions, justifie le licenciement de l’intéressé.
Le Conseil d’Etat observe (point 18) que l’avant-projet ne prévoit aucune disposition dérogatoire pour les personnes pouvant justifier d’une contre-indication médicale à la vaccination, et suggère - à juste titre - d’ajouter de telles dispositions.
En revanche il ne s’émeut guère, en son principe, de ce nouveau motif de licenciement de plein droit (points 18 et 35 de l’avis), estimant la mesure proportionnée : ses objections se limitent à des considérations formalistes liées à l’absence de consultation préalable de certaines instances(point 35 de l’avis). Il signale par ailleurs la nécessité d’une procédure contradictoire et d’un entretien préalable ; mais il s’agit là d’une bien piètre et formaliste protection, que les textes généraux sur le licenciement auraient imposée de toute façon.
Le principe du licenciement, pourtant, ne va a priori pas de soi : l’on aurait pu concevoir que le contrat serait simplement suspendu jusqu’à l’issue de la crise sanitaire ou jusqu’à ce que l’intéressé se conforme à son obligation vaccinale - quitte à permettre à l’employeur, comme en cas d’absences prolongées ou répétées pour motif de santé, de prononcer un licenciement seulement à condition de justifier cumulativement :
d’une perturbation du fonctionnement de l’entreprise causée par l’absence prolongée du salarié ;
de la nécessité de procéder à son remplacement définitif (ce qui suppose d’établir l’impossibilité d’un remplacement temporaire, en CDD ou par l’intérim).
Des voix se sont donc élevées pour dénoncer une règle excessivement sévère.
En réalité la Cour de cassation a déjà admis par le passé que le fait, pour un salarié soumis à une obligation vaccinale, de ne pas s’y conformer constituait une cause réelle et sérieuse de licenciement (Cass. Soc., 11 juillet 2012, pourvoi n° 10-27.888, Bull. V n° 221).
La question de la faute grave, privative en outre de toute indemnité de licenciement (le préavis n’étant de toute façon pas dû puisque le salarié se met lui-même dans l’impossibilité de l'exécuter) restait d’ailleurs ouverte au point de vue des principes : dans l’affaire précitée, l’employeur avait prononcé un licenciement pour cause réelle et sérieuse de sorte que la question d’une qualification éventuelle de faute grave ne pouvait pas se poser. La lettre de licenciement fixe en effet les termes du litige, de sorte qu’un licenciement prononcé pour cause réelle et sérieuse ne peut être requalifié en licenciement pour faute grave, même pour des faits qui objectivement pourraient correspondre à cette qualification.
Il faut rappeler également que plusieurs obligations vaccinales applicables aux soignants (articles L. 3111-4 du Code de la santé publique) sont déjà sanctionnées pénalement par une contravention de cinquième classe (articles R. 3116-1 et R. 3116-2 du Code de la santé publique), punie d’une amende de 1.500 € au maximum. Se soustraire à une obligation vaccinale constitue donc une faute pénale, et par voie de conséquence une faute au sens civil. Or cette faute fait obstacle à la poursuite du contrat de travail ce qui constitue la définition même, en jurisprudence, de la faute grave.
L’avant-projet, tel qu’il est rédigé ne règle pas explicitement la question mais il est permis de penser que la faute grave est implicitement exclue et que le salarié pourra donc au minimum prétendre, si son ancienneté est suffisante, à une indemnité de licenciement.
En posant le principe d’un licenciement justifié, l’avant-projet ne fait donc que fixer une solution que la jurisprudence avait déjà admise. Il constitue même, à bien y regarder, une (relative) protection pour les salariés, d’une part en excluant implicitement la qualification de faute grave (ce qui n’allait pas de soi) et d’autre part, en leur octroyant un délai pour se raviser (délai relativement bref cependant, compte tenu des contraintes liées à la nécessité d’une double injection).
L’employeur, par ailleurs, n’est pas obligé de prononcer le licenciement et peut préférer laisser le salarié en situation de suspension non rémunérée du contrat - économisant ainsi le coût de l’indemnité de licenciement. Il n’est alors pas question de remplacer définitivement le salarié par une embauche en CDI, et la réintégration sera de droit si le salarié se met en conformité avec ses obligations.
Le risque, pour le salarié réfractaire, est donc d’être acculé à la démission (ce qui ne lui ouvrira pas droit au chômage, au moins pendant quatre mois) car il ne pourra pas exiger d’être licencié.
Une autre difficulté prévisible pour les employeurs est la gestion quotidienne des salariés réfractaires à la vaccination et soumis seulement au passe sanitaire (première situation précitée), qui peuvent donc se contenter de présenter régulièrement le passe obtenu par un test virologique négatif - et dont, par intermittence, le passe ne serait plus à jour du fait d’une soumission irrégulière aux tests. Le motif de licenciement de plein droit prévu par l’avant-projet ne pourrait pas s’appliquer, faute d’absence pendant deux mois. De plus, il n’est pas précisé dans l’avant-projet si l’absence de deux mois nécessaire pour justifier un licenciement doit être continue ou pas.
Si la situation n’est plus gérable, l’employeur devrait alors choisir entre un licenciement disciplinaire pour faute ou un licenciement pour absences répétées perturbant le fonctionnement de l’entreprise et rendant nécessaire le remplacement définitif - les deux options présentant des difficultés (établir le caractère fautif de l’absence intermittente de passe à jour d’un côté, établir la perturbation du fonctionnement de l’entreprise et l’impossibilité de recourir à des remplacements temporaires de l’autre).
(Précision du 22 juillet 2021) Pour finir, il faut préciser qu’en dehors des deux hypothèses visées plus haut l’employeur ne pourra pas exiger d’un salarié le passe sanitaire. Il ne pourrait pas même décider de mettre le salarié non possesseur du passe en congé rémunéré : l’employeur a l’obligation non seulement de payer le salaire, mais aussi de fournir du travail au salarié.
Sources :