HOUSSARD & TERRAZZONI

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Le licenciement du salarié non vacciné - épisode III (Conseil constitutionnel)

Rarement décision du Conseil constitutionnel aura été aussi attendue que la décision n° 2021-824 du 5 août 2021, au sujet de la Loi relative à la gestion de la crise sanitaire votée le 25 juillet 2021 (v. aussi le communiqué de presse diffusé par le Conseil).

Nous avions déjà proposé deux commentaires, de l’avant-projet de loi puis du texte définitif, sous l’angle particulier du droit du travail et du devenir du contrat du salarié ne remplissant pas les obligations de vaccination, ou de présentation du passe vaccinal. C’est encore le point qui nous intéresse spécifiquement ici (points 71 à 87 de la décision).

Avant d’y venir, signalons rapidement que l’article 9 de la Loi est censuré en ce qu’il prévoit une obligation d’isolement pendant 10 jours en cas de dépistage positif, dès lors que cette obligation d’isolement n’est notifiée à la personne concernée qu’au moment de la réalisation même du test (donc, en tant que conséquence à venir d’un test éventuellement positif) et “sans décision individuelle fondée sur une appréciation de l'autorité administrative ou judiciaire” - ce dont le Conseil déduit que “bien que la personne placée en isolement puisse solliciter a posteriori un aménagement des conditions de son placement en isolement auprès du représentant de l'État dans le département ou solliciter sa mainlevée devant le juge des libertés et de la détention, les dispositions contestées ne garantissent pas que la mesure privative de liberté qu'elles instituent soit nécessaire, adaptée et proportionnée” (points 116 & 117 de la décision) . Ce n’était pas une évidence, et cela compliquera considérablement l’effectivité de la mise en isolement des personnes positives au dépistage.

S’agissant du point qui nous intéresse spécialement (savoir l’incidence de la Loi sur les relations de travail : points 71 à 87 de la décision du Conseil), rappelons tout d’abord que la Loi n’impose pas à l’ensemble des salariés et agents publics de se vacciner contre la COVID-19, ni de présenter le passe sanitaire - et n’autorise pas les employeurs à formuler une telle exigence hormis les cas particuliers prévus par la Loi. C’est même expressément interdit, et sanctionné pénalement (article 1er, points 34 & 35).

Il est seulement fait obligation :

  • aux salariés exerçant leurs fonctions dans certains “lieux, établissements, services ou évènements” dont l’accès est réservé aux personnes disposant d’un passe sanitaire, de disposer eux-mêmes d’un tel passe ;

  • aux soignants "(entendus au sens très large), d’être vaccinés avant le 15 septembre 2021 et d’ici là, de disposer à tout le moins du passe sanitaire.

Le Conseil constitutionnel, pour l’essentiel, valide le dispositif (ce qui était prévisible) sous la seule réserve, que nous avions anticipée dans notre précédent commentaire, de l’inexplicable disparité de traitement entre les salariés en CDD ou en intérim - pour lesquels une faculté de rupture anticipée justifiée de plein droit était offerte à l’employeur - et les salariés en CDI pour lesquels la faculté, pour l’employeur, de prononcer un licenciement automatiquement justifié avait été supprimée par le Sénat. De façon logique et prévisible, le Conseil constitutionnel constate que cette différence de traitement n’est justifiée par rien, et censure donc la Loi sur ce point précis.

Une autre disparité, que le Conseil constitutionnel n’évoque pas mais que sa décision fait également disparaître, tenait au fait que cette rupture anticipée était prévue pour les salariés en CDD ou intérim relevant du passe sanitaire mais ne l’était pas, paradoxalement, pour les salariés en CDD ou en intérim soumis à une obligation vaccinale à proprement parler - pourtant plus exigeante.

Il faut, quoi qu’il en soit, déduire de la censure prononcée par le Conseil que la rupture anticipée, pour les salariés en CDD ou en intérim relevant du passe sanitaire, est impossible puisque l’absence d’un tel passe ne peut sans doute constituer en soi, ni une faute grave (en l’absence d’obligation de se soumettre à la vaccination) ni un cas de force majeure (la simple présentation d’un passe pouvant permettre la reprise de l’exécution du contrat). Les employeurs devront donc considérer les salariés concernés comme étant en situation d’absence temporaire justifiée, et procéder comme ils pourront à leur remplacement par d’autres embauches en CDD ou en intérim, sur le fondement du remplacement d’un salarié absent.

C’est beaucoup moins évident s’agissant des salariés soumis à l’obligation vaccinale, car le refus de vaccination peut dans leur cas être considéré comme une faute et cette faute fait par définition obstacle à la poursuite du contrat de travail - ce qui est la définition même de la faute grave (v. notre précédent commentaire).

Le Conseil observe (point 75 de sa décision), pour comparer les situations des salariés en CDI d’une part, en CDD ou intérim d’autre part, que “le législateur a entendu exclure que la méconnaissance de l'obligation de présentation des justificatif, certificat ou résultat précités puisse constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement d'un salarié en contrat à durée indéterminée”. Cette motivation, cependant, ne doit pas tromper :

  • s’agissant des salariés en CDI relevant du passe sanitaire, il reste possible à notre sens de motiver un licenciement, non pas par l’absence de présentation du passe en soi mais par la perturbation objective du fonctionnement de l’entreprise, causée par les absences prolongées ou répétées du salarié et rendant nécessaire son remplacement définitif - sous réserve que l’employeur soit en mesure de rapporter la preuve de ces conditions (jurisprudence constante ; pour un exemple récent, v. Cass. Soc., 24 mars 2021, pourvoi n° 19-13.188, publié au Bull. ; v. notre billet précédent) ; le licenciement restera donc possible dans certains cas ;

  • s’agissant des salariés en CDI relevant de l’obligation de vaccination, la motivation précitée du Conseil est un argument à l’encontre de la thèse selon laquelle le refus de vaccination pourrait constituer en soi un motif de licenciement (v. pourtant dans un cas analogue Cass. Soc., 11 juillet 2012, pourvoi n° 10-27.888, Bull. V n° 221).
    Il reste que ces salariés ne sont pas concernés à proprement parler par la motivation précitée du Conseil constitutionnel puisque, dans leur cas, la rupture anticipée des salariés en CDD ou intérim n’était pas prévue par la Loi. La question du caractère justifié du licenciement fondé directement sur le refus de vaccination, voire (comme pour les salariés en CDD ou intérim) d’une qualification éventuelle de faute grave, reste donc à notre sens ouverte, en ce qui les concerne, pour les raisons que nous avions exposées précédemment sur cette thématique.

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