HOUSSARD & TERRAZZONI

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Pourquoi les employeurs ont intérêt à appliquer la loi sur le passe sanitaire

Un article polémique circule sur les réseaux sociaux, selon lequel les employeurs n’auraient pas intérêt à appliquer la loi “sur le passe sanitaire” - savoir, la Loi n° 2021-1040 du 5 août 2021. En substance, les employeurs ne s’exposeraient à aucun risque en refusant d’appliquer la loi et s’exposeraient au contraire à des “pièges” s’ils l’appliquent.

Parce que certains employeurs, notamment les PME/PMI non dotées d’un service juridique, pourraient être tentés de prendre ces affirmations pour argent comptant, nous croyons nécessaire de reprendre la plume sur ce sujet pour signaler que les opinions émises dans cet article sont erronées, et dangereuses pour les employeurs qui les appliqueraient.

Liminairement, on observera que l’article se réfère à l’opinion anonyme d’un président de section prud’homale, sans plus de précision - ce qui est une source totalement invérifiable et de surcroît, d’une autorité très relative. Mais nous nous concentrerons, ici, sur le fond.

1°/ La loi ne créerait aucune sanction pour les employeurs de salariés soumis seulement au “passe sanitaire” et non à l’obligation vaccinale

C’est inexact :

D’une part, le contrôle du respect du passe sanitaire est sanctionné, selon l’article 1.II.D, alinéa 3 de la Loi n° 2021-689 du 31 mai 2021, dans sa rédaction issue de la Loi n° 2021-1040 du 5 août 2020, dans les termes suivants :

Lorsque l'exploitant d'un lieu ou d'un établissement ou le professionnel responsable d'un évènement ne contrôle pas la détention, par les personnes qui souhaitent y accéder, des documents mentionnés au 2° du A du présent II, il est mis en demeure par l'autorité administrative, sauf en cas d'urgence ou d'évènement ponctuel, de se conformer aux obligations qui sont applicables à l'accès au lieu, établissement ou évènement concerné. La mise en demeure indique les manquements constatés et fixe un délai, qui ne peut être supérieur à vingt-quatre heures ouvrées, à l'expiration duquel l'exploitant d'un lieu ou établissement ou le professionnel responsable d'un évènement doit se conformer auxdites obligations. Si la mise en demeure est infructueuse, l'autorité administrative peut ordonner la fermeture administrative du lieu, établissement ou évènement concerné pour une durée maximale de sept jours. La mesure de fermeture administrative mentionnée au présent alinéa est levée si l'exploitant du lieu ou établissement ou le professionnel responsable de l'évènement apporte la preuve de la mise en place des dispositions lui permettant de se conformer auxdites obligations. Si un manquement mentionné au présent alinéa est constaté à plus de trois reprises au cours d'une période de quarante-cinq jours, il est puni d'un an d'emprisonnement et de 9 000 € d'amende.

Or, l’article 1.II.A vise aussi les “personnes qui interviennent dans ces lieux, établissements, services ou évènements”, c’est-à-dire concrètement les travailleurs et bénévoles. Il en résulte que les sanctions administratives du défaut de contrôle du passe sanitaire des usagers ont vocation à s’appliquer aussi en cas de défaut de contrôle du passe sanitaire des salariés.

D’autre part, les employeurs sont soumis, au titre des principes généraux du droit du travail, à une obligation de sécurité à l’égard de leurs salariés . Le sujet est très vaste, il suffira ici de renvoyer à l’article L. 4121-1 du Code du travail qui en pose le principe.

Il en résulte qu’un employeur qui ne se préoccuperait pas de contrôler le passe sanitaire de ses salariés, alors même qu’il est exigible pour des raisons liées au risque sanitaire, s’exposerait à l’ensemble des conséquences liées au manquement à son obligation de sécurité (dommages et intérêts, risque de rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur et produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle ni sérieuse…). Les salariés pourraient certainement, aussi, considérer qu’ils sont exposés à un danger immédiat et exercer un droit de retrait.

2°/ La suspension du contrat de travail serait une sanction disciplinaire, motivée par l’état de santé du salarié

L’auteur de l’article en déduit :

  • d’une part, que la contravention de 5ème classe venant sanctionner, selon l’article 16.II de la Loi du 5 août 2021, l’absence de contrôle par l’employeur de l’obligation vaccinale (pour les salariés qui en relèvent), ne pourrait s’appliquer car l’obligation de contrôler n’impliquerait pas l’obligation de “sanctionner” ; c’est-à-dire que l’employeur aurait l’obligation de contrôler le respect de l’obligation vaccinale, mais pas d’en tirer la moindre conséquence et pourrait donc permettre au salarié de poursuivre normalement son travail, après avoir constaté qu’il n’est pas vacciné ;

  • d’autre part, que l’employeur aurait l’obligation de mettre en place une procédure disciplinaire avant de constater la suspension du contrat, du fait du non-respect par le salarié de son obligation vaccinale - et, surtout, que cette sanction étant motivée par l’état de santé du salarié, donc discriminatoire, serait nulle (invoquant ainsi, sans le préciser expressément, l’article L. 1132-1 du Code du travail).

Mais, le postulat initial est faux car la suspension du contrat de travail n’est pas une sanction disciplinaire, laquelle se définit comme une décision prise à l’égard du salarié par l’employeur, à la suite d’un agissement considéré par lui comme fautif (article L. 1331-1 du Code du travail).

La suspension prévue par la Loi est la conséquence automatique et objective du fait que le salarié n’a plus le droit, pour des raisons réglementaires, d’accomplir ses tâches. L’employeur n’a aucune marge de manoeuvre et ne peut que constater la suspension du contrat, exactement comme si le salarié était en arrêt de travail pour cause de maladie ou s’il perdait son permis de conduire alors que ses fonctions contractuelles consistent précisément à conduire des véhicules.

La question de savoir si, en outre, l’employeur peut considérer que le salarié est fautif et prononcer une sanction disciplinaire (en particulier un licenciement), est différente. Nous renvoyons sur ce point à nos autres billets précédents en rappelant seulement que, selon nous, cette possibilité est exclue pour les salariés relevant seulement du passe sanitaire mais que la question reste ouverte, en revanche, s’agissant de ceux relevant de l’obligation vaccinale. Nous renvoyons de même à nos billets précédents sur la question du licenciement motivé non pas par une faute mais par la perturbation de l’entreprise provoquée par l’absence du salarié.

Quoi qu’il en soit, non seulement la suspension n’est pas une sanction disciplinaire, mais elle n’a pas pour fondement l’état de santé du salarié car ni le fait d’être vacciné ou non, ni le fait d’être ou non en possession du passe sanitaire ne sont une question “d’état de santé”. La question pourrait se poser pour les salariés dont l’état de santé fait obstacle à la vaccination, mais ceux-là sont précisément dispensés de l’obligation vaccinale (article 12, alinéa 1er de la Loi du 5 août 2021) comme de passe sanitaire - ou plus exactement, la contre-indication à la vaccination justifie l’octroi dérogatoire du passe sanitaire (Article 1.J de la Loi du 31 mai 2021, dans sa rédaction issue de la Loi du 5 août 2021).

L’idée selon laquelle la suspension du contrat serait une sanction disciplinaire nulle car fondée sur l’état de santé du salarié est donc erronée à double titre.

En conclusion, nous mettons en garde les employeurs contre ce type de rumeurs qui s’apparentent à une “fake news juridique” et qui peuvent, s’ils les suivent aveuglément, être lourdes de conséquences pour leur entreprise. Avoir suivi une opinion erronée circulant sur les réseaux sociaux ne sera pas considéré comme une excuse valable en cas de contrôle ou de contentieux prud’homal.

Il peut arriver que, pour certaines raisons techniques liées par exemple au droit international ou à une difficulté spécifique d’interprétation, l’application à la lettre de telle ou telle disposition législative soit à éviter, car le “droit” ne se confond pas avec la “loi”, à plus forte raison à la loi lue mot à mot. D’une manière générale néanmoins, toute affirmation péremptoire invitant à ne pas appliquer la Loi est à prendre avec la plus grande précaution et nécessite la consultation préalable d’un professionnel compétent.